L’isolement cellulaire en forte baisse au pays
Le gouvernement de Justin Trudeau jure qu’il ne s’agit que d’une coïncidence, mais elle reste frappante : depuis son arrivée au pouvoir, le recours à l’isolement cellulaire, qui faisait l’objet de nombreuses critiques parce que trop répandu dans les prisons fédérales, a chuté de plus du tiers. Reste maintenant à savoir si le changement est réel ou seulement sur papier.
La révélation est venue de la bouche de l’enquêteur correctionnel du Canada, Howard Sapers. Le nombre de prisonniers fédéraux qui sont placés dans une cellule « de la taille d’une salle de bain moyenne », 23 heures sur 24, est en nette diminution depuis l’automne. Selon M. Sapers, il y en avait en moyenne 800 par jour et il n’y en a plus que 500, pour une diminution de 37,5 %.
« Ce que nous avons vu au cours de la dernière année est une diminution dramatique de la ségrégation et de l’isolement répété », a indiqué M. Sapers dans la conférence de presse où il a présenté son rapport annuel. Si la donnée n’est pas contenue dans le rapport déposé, c’est que celui-ci porte sur l’année 2014-2015 et que les changements sont survenus après.
L’enquêteur se réjouit de cette donnée car l’isolement cellulaire (ou préventif) est selon lui « une pratique intrinsèquement risquée et dommageable ». Le détenu n’a dans sa cellule qu’un lit et une toilette, pas de table ou de chaise. Il y mange tous ses repas seul. Il a le droit de faire une heure d’exercice par jour à l’extérieur si la température le permet et peut se doucher tous les deux jours. En moyenne, les détenus y restent 27 jours, mais le séjour peut être beaucoup plus long, voire perpétuel dans certains cas. La moitié de la population carcérale fédérale actuelle est déjà passée par là à un moment ou à un autre. Pourtant, la loi stipule qu’il devrait s’agir d’une mesure de dernier recours.
On estime que presque tous les prisonniers en ressentent des répercussions (insomnie, confusion, désespoir ou hallucinations). Les détenus ayant des antécédents suicidaires ou d’automutilation sont deux fois plus susceptibles de se retrouver en isolement cellulaire. Ceux ayant des troubles de santé mentale y sont aussi surreprésentés. Une précédente étude de l’Enquêteur correctionnel du Canada portant sur 30 suicides commis entre 2011 et 2014 avait révélé que 14 d’entre eux avaient été commis en cellule d’isolement. Du lot, cinq prisonniers s’étant donné la mort étaient en isolement depuis plus de quatre mois.
Cette diminution de près de 40 % ne doit cependant pas être interprétée comme étant le fruit des « voies ensoleillées » promises par Justin Trudeau. En fait, la consigne de réduire le recours à l’isolement a été donnée par les hauts responsables des Services correctionnels (SCC) en décembre 2014, sous l’administration du précédent gouvernement conservateur. C’est simplement que l’impact n’aurait commencé à se faire sentir qu’un an plus tard. « Notre administration ne prétend pas prendre le crédit de cela », indique d’ailleurs humblement le porte-parole du ministre libéral de la Sécurité publique, Scott Bardsley.
Les leçons d’Ashley Smith
Les Services correctionnels confirment au Devoir que la directive a été donnée dans la foulée de l’affaire Ashley Smith, cette jeune fille de 19 ans qui s’est donné la mort dans sa cellule sous le regard de gardiens qui ne sont pas intervenus. Elle avait passé la majorité des 11 derniers mois de son incarcération en isolement. Le coroner de l’Ontario avait recommandé que l’isolement soit limité à 15 jours consécutifs et à 60 jours par année, une recommandation que les Services correctionnels avaient rejetée.
N’empêche que des mesures ont été prises. « Le SCC a effectué un examen approfondi des recommandations et conclusions formulées lors de l’enquête du coroner sur le décès d’Ashley Smith, écrit la porte-parole Sabrina Nash. Le nombre de détenus placés en isolement préventif a diminué de façon importante depuis que ces changements ont été apportés. » Mme Nash note que le nombre de détenus en isolement depuis plus de deux mois est passé de 155 à 81 (-48 %) depuis le 15 mars 2015.
M. Sapers se réjouit de ces chiffres, mais reste prudent. « Bien que nous soyons encouragés [de constater] que d’autres solutions soient trouvées, nous serions découragés si ce n’était que de la ségrégation sous un autre nom. » Car il se pourrait, souligne-t-il, que les détenus soient désormais enfermés, disons, 20 heures par jour, ce qui permettrait sur papier d’écrire qu’ils ne sont plus isolés. En outre, cela soulagerait les Services correctionnels des obligations réglementaires qui viennent avec l’isolement, comme la nécessité de faire un rapport après 5 jours, puis 30 et 60 jours.
Par ailleurs, le directeur général du Bureau de l’enquêteur, Ivan Zinger, s’interroge sur la sincérité des Services correctionnels qui, au cours des dix dernières années, ont prétendu que l’isolement « était nécessaire pour assurer la sécurité ». « La loi n’a pas changé, les règlements n’ont pas changé, donc on doit se demander pourquoi une telle diminution. La diminution est excellente, mais on ne devrait pas voir l’application de la loi comme quelque chose qui est discrétionnaire ou arbitraire. »
Dans son rapport annuel, l’Enquêteur demande d’ailleurs au gouvernement de changer la loi afin d’écrire que l’isolement cellulaire ne peut plus se prolonger au-delà de 30 jours.
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