Le ministre de la Justice mise sur les innovations adoptées à cause de la pandémie

OTTAWA — La pandémie semble avoir donné un coup de pouce — et d’accélérateur — à une modernisation du système de justice canadien.
Déjà aux prises avec des délais importants, les tribunaux de tout le pays ont été forcés de se «réinventer» rapidement lorsque la COVID-19 a frappé l’hiver dernier. Le système judiciaire a petit à petit adopté de nouvelles technologies et de nouveaux processus pour maintenir le système en marche tout en respectant les consignes sanitaires.
Le ministre fédéral de la Justice, David Lametti, présente maintenant un projet de loi visant à adopter de façon permanente certaines de ces solutions.
«Les modifications législatives présentées aujourd’hui permettront de relever les défis auxquels fait face le système de justice pénale du Canada, en soutenant l’adaptation du système aux obstacles sans précédent découlant de la pandémie de COVID-19», écrit le ministre dans un communiqué.
Les modifications visent à clarifier le Code criminel et d’autres lois afin d’élargir les options de «justice à distance», y compris les comparutions vidéo ou audio des accusés pour la plupart des procédures pénales. On pourrait aussi autoriser un «recours accru» à la technologie pour la pige des noms de candidats-jurés à l’occasion du processus de sélection du jury. Le gouvernement souhaite aussi revoir le processus relatif aux télémandats, afin d’offrir aux agents de la paix «un plus vaste éventail d’ordonnances d’enquête pouvant faire l’objet d’une demande à distance».
Le gouvernement précise toutefois que la comparution à distance ne serait possible que dans certaines circonstances, de manière à ce que les audiences en personne «demeurent la norme». Les nouvelles dispositions garantiraient par contre qu’une procédure «à distance» demeure une option, même si elle nécessitera le consentement de toutes les parties concernées.
Dans un document d’information distribué avec le nouveau projet de loi, le gouvernement indique que «cette mesure législative, qui s’appuie sur les discussions menées avec nos homologues provinciaux et territoriaux, vise à relever les défis posés par la pandémie de COVID-19 dans l’ensemble du système de justice pénale».
Appel à la prudence
Dans un rapport publié la semaine dernière, l’Association du Barreau canadien (ABC) rappelait que la profession juridique devait s’appuyer sur les innovations adoptées pendant la pandémie. Le groupe de travail, composé de juristes, soulignait toutefois que les nouvelles mesures et la technologie devaient être déployées de manière à améliorer l’accès à la justice, et non à l’entraver involontairement.
Le rapport du groupe de travail recommandait que toutes les instances (tribunaux judiciaires et administratifs, commissions) permettent à titre permanent les procédures «à distance» pour les conférences en vue d’un règlement à l’amiable, les interrogatoires préalables et les audiences, motions, procès et appels variés, notamment «pour les questions de procédure, les procédures non contestées et les affaires plus courtes ou moins complexes».
Ces affaires plus complexes et délicates, auxquelles participent de nombreux témoins et experts, «sont plus difficiles à traiter à distance», reconnaissait le groupe de travail du Barreau canadien. «Cela vient largement du fait que les avocats ne peuvent pas appuyer leur client en personne et que les évaluations de la crédibilité ne se prêtent pas toujours bien aux procédures en ligne.»
Dans des remarques préenregistrées pour la réunion annuelle du Barreau, la semaine dernière, le juge en chef de la Cour suprême, Richard Wagner, déclarait que bon nombre des solutions technologiques récentes avaient apporté une flexibilité accrue, plus d’efficacité, un coût moindre et un meilleur accès. «Il serait irresponsable de ne pas saisir cette opportunité», estimait le juge Wagner. «Un manque d’accès à la justice a des effets profonds sur la vie des gens, érode la confiance dans le système judiciaire et renforce les inégalités existantes.»
L’opposition conservatrice a déclaré jeudi que les libéraux avaient mis trop de temps à apporter les changements «afin de remédier aux délais pour garantir que des criminels ne soient pas en liberté», ont déclaré Rob Moore et Pierre Paul-Hus, porte-parole du parti en matière de justice et de sécurité publique. Ils promettent d’analyser de près le projet de loi et de «veiller à ce qu’il aide les victimes et leurs familles à obtenir justice».