Une bonne entente, mais des accords minces

Les deux hommes s’appelaient par leur prénom, saluaient le travail de l’autre, ses qualités et son « intellect », et se taquinaient quant à savoir qui, du Canada ou des États-Unis, est le vrai champion du hockey. Barack Obama et Justin Trudeau exhibaient le parfait bonheur sur la pelouse de la Maison-Blanche. Mais outre cette étroite connivence, les deux hommes avaient peu à offrir à l’issue de leur rencontre jeudi.
Scène internationale, lutte contre le terrorisme, sécurité à la frontière, environnement, bois d’oeuvre ; les enjeux traditionnels ont tous été abordés par le président américain et le premier ministre canadien. Mais les deux hommes n’avaient que de petites annonces à dévoiler. Pour le reste, Barack Obama et Justin Trudeau ont surtout martelé la « relation extraordinaire » et la bonne entente qui unissent les deux pays et leurs hommes d’État.
Car ce partenariat, il ne « faut pas le tenir pour acquis », a noté le président américain sans pour autant taper ouvertement sur son homologue précédent, Stephen Harper — avec qui les relations s’étaient détériorées avec le rejet du projet de pipeline Keystone XL. Cette relation doit être entretenue, et Ottawa et Washington doivent voir venir, ensemble, les grands enjeux qui pointent à l’horizon. « Il est essentiel pour nous de travailler ensemble, parce que plus nous sommes en harmonie, plus nous pouvons façonner la ligne d’action internationale afin de répondre à ces défis. Les changements climatiques en sont un exemple », a fait valoir le président.
Méthane
Et c’est justement l’un des éléments d’entente dévoilés jeudi à Washington : les États-Unis et le Canada réduiront les émissions de méthane du secteur pétrolier et gazier de 40 % à 45 % par rapport aux niveaux de 2012, d’ici 2025. Ottawa imposera une réglementation nationale, en collaboration avec les provinces, d’ici le début de 2017. Les deux pays plancheront également sur des mesures de réduction d’hydrofluorocarbures — un autre gaz à effet de serre très puissant —, et poursuivront leurs pourparlers pour établir des normes de réduction de GES pour les véhicules routiers lourds et le secteur de l’aviation internationale. Ils ont en outre confirmé leur objectif de protéger 17 % des terres et 10 % des zones marines de l’Arctique d’ici 2020.
Des engagements qui, si modestes soient-ils, témoignent du fait que MM. Obama et Trudeau sont d’idéologies communes et « s’entendent bien ». « Je ne dirais pas que c’est juste le résultat de l’amitié, mais ça compte beaucoup », analyse l’ancien ambassadeur aux États-Unis Raymond Chrétien, aujourd’hui chez Fasken Martineau. « Sans le climat de confiance, l’amitié, rien ne se passe, ou pas grand-chose. » C’est cette bonne entente qui avait été « absolument primordiale » à la conclusion de l’Accord sur les pluies acides par Brian Mulroney et Ronald Reagan, en 1991 — bien que cette entente était beaucoup plus compliquée que celle de jeudi.
Car l’Alberta — province la plus touchée par une telle mesure — s’était déjà engagée à réduire les émissions de méthane, rappelle Steven Guilbeault d’Équiterre. C’est néanmoins un engagement « significatif », car il s’agit d’un GES 30 fois plus puissant que le CO2. « D’un point de vue de lutte contre les changements climatiques, s’attaquer au méthane, c’est très important. » S’ajoute à cela la symbolique de voir une rencontre canado-américaine porter en grande partie sur le climat, note M. Guilbeault.
Reste que MM. Obama et Trudeau — l’un cherchant à laisser sa marque, l’autre à l’imposer — auraient pu tenter des initiatives plus ambitieuses ou étonnantes, selon Charles-Philippe David. « Il y a beaucoup de voeux pieux et de bonnes intentions là-dedans, note le président de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand. Au-delà de la symbolique […], ce sont des platitudes. »
Des voyages plus rapides
Autre petite annonce et bonne nouvelle selon M. David : Ottawa et Washington élargiront le prédédouanement aux aéroports Jean-Lesage à Québec et Billy Bishop à Toronto, et aux gares de Montréal et Vancouver. Une « belle réussite » qui facilitera les déplacements de milliers de Québécois, s’est réjoui Raymond Chrétien.
La nouvelle a d’ailleurs ravi les milieux d’affaires à Québec (qui la réclamaient depuis dix ans), le président de la Chambre de commerce Alain Aubut la qualifiant de « jalon historique ». L’aéroport a accueilli près de 1,6 million de passagers l’an dernier.
Ottawa et Washington prévoient aussi d’accroître l’échange de renseignements sur leurs listes d’interdiction de vol, et compléter le système conjoint qui leur permet d’enregistrer les entrées et sorties de voyageurs aux frontières des deux pays.
Barack Obama et Justin Trudeau ont par ailleurs causé du dossier du bois d’oeuvre, dont l’entente est périmée depuis octobre. L’enjeu a été abordé. Mais pas réglé.
« On continue de travailler là-dessus et je suis convaincu qu’on est sur la bonne voie pour trouver une solution dans les semaines et les mois à venir », a commenté le premier ministre Justin Trudeau. Les ministres responsables des deux côtés de la frontière étudieront les sorties de crise possibles et déposeront un rapport d’ici 100 jours.
« On n’avait pas besoin d’une rencontre en soi pour nous annoncer tout ce qu’on nous a annoncé, a réagi Charles-Philippe David. Mais la rencontre fait du bien, parce que ça efface les difficultés de chimie entre le président et le premier ministre depuis dix ans. Ça, c’est une bonne nouvelle. »