Vers un caucus de sénateurs indépendants?

La sénatrice québécoise Diane Bellemare veut redorer l’image du Sénat
Après le « coach » Jacques Demers, au tour des sénateurs québécois Diane Bellemare et Michel Rivard de quitter leur caucus pour siéger comme indépendants à la Chambre haute d’Ottawa. L’ancienne professeure d’économie abandonne sa famille conservatrice dans l’espoir de convaincre d’autres sénateurs indépendants de se joindre à elle pour créer une « troisième voie » non partisane. M. Rivard, lui, déeserte pour protester contre sa mise à l’écart lors de la dernière campagne électorale.
« C’est une décision mûrement réfléchie. Ça fait longtemps que j’y pense, indique Mme Bellemare en entrevue avec Le Devoir. Je deviens indépendante parce que je suis convaincue que c’est la meilleure façon pour moi de jouer mon rôle, d’accomplir mon devoir constitutionnel, de défendre les intérêts du Québec et de promouvoir l’indépendance du Sénat dans le cadre d’un groupe organisé de sénateurs indépendants. » Elle rappelle avoir fait plusieurs discours sur le sujet dans le passé. « Là, il faut que les bottines suivent les babines. »
Elle assure que les déboires de son ex-collègue Mike Duffy, ou la controverse en général sur les allocations de dépenses de certains sénateurs, n’y sont pour rien dans sa décision, même si elle lance candidement : « Je suis arrivée [au Sénat en 2012], tout allait bien et tout à coup, tout allait mal. » Elle insiste pour dire que sa décision ne doit pas davantage être comprise comme undésaveu du leadership conservateur actuel. Elle constate plutôt une « absence de confiance de la population envers l’institution » à laquelle elle croit pouvoir remédier en montrant que le Sénat n’est pas qu’une simple réplique de la très partisane Chambre des communes.
L’économiste de formation se dit très inspirée par le modèle britannique des « crossbenchers ». Il s’agit de membres de la Chambre des lords qui ne sont affiliés à aucune formation politique. Ils disposent, en tant que groupe, de ressources et d’un « convenor », ou facilitateur, qui les tient au courant des activités à la Chambre. Ils se réunissent chaque mercredi et se partagent les tâches, notamment les participations aux comités parlementaires. Ils doivent par la suite faire rapport à leurs pairs de la manière la plus neutre possible. Il n’y a aucune ligne de parti. Il est d’ailleurs interdit de tenter de convaincre ses collègues lors des réunions de crossbenchers.
Mme Bellemare croit qu’un groupe similaire de sénateurs canadiens pourrait s’organiser et ainsi étudier les projets de loi de manière neutre. Ils obtiendraient le droit de siéger aux comités. Elle espère aussi que le Sénat acceptera de changer ses règles internes de manière à octroyer des ressources financières à un tel caucus indépendant. Pour l’instant, un caucus doit être affilié à un parti politique reconnu par Élections Canada pour obtenir des fonds, se désole la sénatrice.
La sénatrice entend approcher à cette fin les autres sénateurs indépendants. Il y en a à l’heure actuelle 12, dont l’ancien conservateur Jacques Demers et l’ex-libérale Pierrette Ringuette, qui ont quitté leur caucus respectif récemment. Il y a aussi les 26 libéraux indépendants. Et c’est sans compter les 24 sièges vacants que Justin Trudeau a promis de pourvoir sous peu au terme d’un processus de nomination dont on espère qu’il générera des sénateurs dépourvus d’affiliation politique. « Il faut les accueillir et leur faire une place », a d’ailleurs dit Mme Bellemare. Cette idée d’un caucus indépendant était caressée par feu le président du Sénat Pierre Claude Nolin. Mme Bellemare reconnaît que M. Nolin a « alimenté » sa réflexion.
Rivard et Demers dans le même bateau
Pour sa part, Michel Rivard quitte le groupe parce qu’il a été « humilié » d’avoir été exclu de l’organisation de la dernière campagne électorale conservatrice, confie-t-il au Devoir. L’organisateur électoral qu’il est n’a pas aimé se faire écarter à cause du scandale des dépenses sénatoriales qui ne le concernait pas. « J’ai été très frustré de devoir pendant deux mois regarder mon gazon pousser. »
M. Rivard devra se retirer du Sénat dans cinq mois. Il ne prendra donc pas part au mouvement de renouveau de Mme Bellemare, même s’il l’appuie. « Je ne peux pas m’objecter à ce qu’on accorde des ressources pour faire des recherches. »
De son côté, l’ancien entraîneur Jacques Demers, qui avait lui aussi quitté le caucus conservateur en partie parce qu’il n’avait pas aimé être exclu de l’équipe électorale, restera à l’écoute des démarches de Mme Bellemare. « Quand Mme Bellemare décide de partir et faire ce qu’elle veut faire, c’est puissant. »