Chocs acoustiques : les interprètes ne sont pas les seules victimes
Cela ne représenterait que la pointe de l’iceberg, puisque ces données ne tiennent pas compte des incidents qui touchent les quelque 200 interprètes pigistes accrédités qui travaillent aussi pour le Bureau et qui ne sont pas syndiqués.
Les employés qui n’ont pas de sécurité d’emploi ont tendance à ne pas signaler les chocs acoustiques dont ils sont victimes, et les employés permanents hésiteraient également à faire part des blessures subies au travail, précise Linda Ballantyne, présidente locale du Canada pour l’Association internationale des interprètes de conférence (AIIC). On n’a pas éduqué les interprètes quant à l’importance de signaler ces accidents et blessures, on a beaucoup de travail à faire de ce côté-là.
Ils ne sont pas sensibilisés, ils signalent rarement les problèmes d’incidents acoustiques au travail.
Linda Ballantyne, présidente locale du Canada pour l’AIIC
Un problème à grande échelle
La section canadienne de l’AIIC compte faire de la sensibilisation des employés un dossier prioritaire en 2019. Mme Ballantyne estime que les interprètes ont aussi leur rôle à jouer pour assurer leur santé et sécurité au travail.
C’est une grande faiblesse [dans] notre profession, il y a un manque de conscientisation, un manque de discipline, un manque d’organisation dans la profession, peu importe l’employeur, ajoute-t-elle.
Elle mentionne que les chocs acoustiques et les acouphènes signalés par les interprètes du Bureau de la traduction sont communs dans toutes les institutions qui ont recours à de tels services, comme l’Union européenne, les Nations unies, l’Agence spatiale européenne et des tribunaux.
Bon nombre de ces organisations ont entamé des discussions pour coordonner leurs efforts et leurs recherches afin de trouver les meilleures solutions pour mieux protéger les interprètes.
Ainsi, l’année 2019 sera charnière dans la recherche de solutions, croit Linda Ballantyne.
Le gouvernement a fait preuve d’« insouciance »
Bien que le gouvernement fédéral ait décidé de trouver des solutions techniques pour mieux protéger les interprètes du Bureau de la traduction, l’AIIC évalue qu’il a tardé à agir.
Linda Ballantyne, qui est interprète depuis 30 ans, juge que le Bureau de la traduction a fait preuve d’insouciance et n’a vraiment pas pris au sérieux ces problèmes, qui pourtant sont connus depuis longtemps.
Mme Ballantyne se souvient de collègues qui, il y a 20 ou 30 ans, ont dû mettre fin à leur carrière en raison des problèmes auditifs dont ils ont souffert après avoir subi de graves blessures en travaillant avec de l’équipement inadéquat.
Ça a pris bien trop de temps avant de prendre ce genre de mesures.
Linda Ballantyne, présidente locale du Canada pour l’AIIC
Mme Ballantyne fonde quant à elle beaucoup d’espoirs sur la volonté de changer les choses de la nouvelle direction du Bureau de la traduction.
Or, elle souligne que le plan d’action qui est proposé par la direction du Bureau de la traduction va dépendre d’investissements, de l’implication et de la collaboration de différents intervenants et ministères.
L’AIIC compte effectuer un suivi pour s’assurer que les délais prévus seront respectés.
Le rôle des politiciens
Les politiciens et ministres fédéraux ont aussi une responsabilité dans ce dossier, croit la présidente locale du Canada de l’AIIC. Linda Ballantyne explique que le Bureau de la traduction joue un rôle très important quant à la Loi sur les langues officielles; les interprètes vont au travail à tous les jours pour permettre aux Canadiens d’avoir accès aux débats publics.
Quelle responsabilité pour le secteur privé?
La véritable responsabilité des chocs acoustiques est difficile à attribuer, étant donné la multitude d’acteurs impliqués lors de l’interprétation de conférences ou de débats parlementaires.
L’AIIC estime que dans certains cas, le Bureau de la traduction a peu d’autorité sur les entreprises de services audiovisuels qui louent leur équipement.
L’interprète pigiste Craig Pollock croit qu’il faut exiger que les compagnies audiovisuelles aient l’équipement nécessaire, mais aussi une bonne formation pour utiliser cet équipement.
Ce sont les exigences vraiment qui vont faire une différence, il faut que ce soit clair, clairement établi au début de chaque séance et même un rappel entre-temps, parce que les gens ont tendance à ne pas respecter les règles et ne pas les prendre au sérieux, ajoute Craig Pollock.
Le grand public est aussi à risque
Tout comme les interprètes et téléphonistes, n’importe qui peut avoir déjà été victime d’un choc acoustique, un phénomène généralement lié au port d’écouteurs, croit la professeure titulaire Chantal Laroche, programme d’audiologie et d’orthophonie de l’Université d’Ottawa.
Ça peut arriver dans notre vie d’avoir été exposé à signal sonore assez fort, par exemple dans un cocktail, une salle de spectacle [où il y a ] un signal assez dérangeant qui, à la limite, pourrait être un choc acoustique.
Chantal Laroche, professeure titulaire à l’Université d’Ottawa au programme d’audiologie et d’orthophonie
Qu’est-ce qu’un choc acoustique? Les explications de l’audiologiste Chantal Laroche
Mme Laroche précise qu’on a peut- être tous été exposés à un moment de notre vie à des événements sonores assez intenses avec certaines particularités, mais on ne consultera pas nécessairement, surtout si on n’a pas de symptômes qui persistent.
Une exposition répétée à des sons soudainement très élevés peut néanmoins entraîner des conséquences à long terme, prévient l’audiologiste Nancy Lévesque.
Si le son est trop fort, puis atteint des niveaux trop élevés, […] à la longue, ça peut créer une perte d’audition. La meilleure manière d’éviter de telles conséquences, selon elle, c’est simplement en réduisant le volume de l’écouteur.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) tire également la sonnette d’alarme. Elle estime que les personnes âgées de 12 à 35 ans sont à risque de souffrir d’une déficience auditive liée à une exposition prolongée et excessive à des sons trop forts par le moyen d’écouteurs.
La moitié de cette tranche de la population serait particulièrement vulnérable, soit 1,1 milliard d’adolescents et de jeunes adultes dans le monde.
L’Union internationale des télécommunications et l’OMS ont ainsi établi une nouvelle norme pour encadrer la fabrication et l’utilisation des lecteurs de musique et des téléphones intelligents.
Les appareils audio personnels devraient dorénavant comprendre des outils supplémentaires pour mieux protéger leurs utilisateurs, tels qu’un profil d’écoute personnalisé et des options pour limiter le volume.