Infirmières praticiennes: bras de fer en vue avec les médecins
Les deux principales institutions représentant les médecins omnipraticiens du Québec ne sont pas d’accord sur la place à donner aux infirmières praticiennes spécialisées (IPS). Alors que le Collège des médecins du Québec (CMQ) envisage des changements majeurs, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) reste sur ses gardes.
Lundi, le CMQ a confirmé ce qu’avait dit la ministre Danielle McCann en entrevue : l’organisme étudie une proposition visant à permettre aux IPS de poser des diagnostics. Il se dit aussi ouvert à revoir certaines règles pour faire en sorte que les patients qui sont vus actuellement par une IPS pour un suivi de maladie chronique n’aient plus l’obligation de voir aussi un médecin dans les 30 jours suivants.
En entrevue, le président du CMQ, Mauril Gaudreault, a expliqué qu’il comptait soumettre une proposition pour « alléger tout cela ».
M. Gaudreault ne veut pas dire exactement ce qu’il compte proposer comme changement, puisque cela doit d’abord être entériné par son conseil d’administration. Il ne préconise pas qu’on donne aux IPS une « autonomie complète » pour poser des diagnostics, mais parle d’une ouverture sur la règle des 30 jours.
Pour en arriver là, le CMQ a notamment consulté des médecins qui ont travaillé avec des IPS ces dernières années. « Il y a une ouverture plus grande [au sein du conseil d’administration] à intensifier la collaboration interprofessionnelle pour le mieux-être de la population », dit-il. « On sait bien que le système doit s’améliorer, donc on veut y participer de façon pleine et entière. […] Le jour où les partenariats entre médecins et IPS vont fonctionner comme il faut, à mon avis, ça va être extraordinaire. »
La FMOQ inquiète
Or, du côté de la FMOQ, ces propositions sèment surtout de l’inquiétude. Le syndicat « ne croit pas à un modèle » où les IPS seraient « totalement autonomes », plaide le président, Louis Godin.
« En donnant aux IPS trop d’autonomie, elles risquent de travailler de leur côté sans les médecins, dit-il en donnant l’exemple de l’Ontario. Dans beaucoup d’endroits où on a donné beaucoup d’autonomie, on s’est retrouvés avec des cliniques d’IPS et souvent à côté, t’as une clinique de médecins qui souvent, a les mêmes patients, dit-il. Il n’y a pas de gains d’efficience dans ce cas-là. »
Quant à la règle des 30 jours, il la juge nécessaire. « Ne perdons pas de vue que ce patient-là, c’est aussi le patient du médecin. Et moi, comme médecin, j’ai une responsabilité. Je peux être appelé à intervenir pour différentes raisons, soit parce que la situation se complexifie, soit parce que l’IPS n’est pas là. Que je sois au courant et que j’aie les informations pour intervenir, c’est tout à fait correct. »
La décision en matière d’actes médicaux revient toutefois au Collège, et non à la Fédération. La FMOQ se défend par ailleurs d’être opposée à tout changement. « Notre plus grande préoccupation, c’est : si jamais il y a un élargissement [du rôle des IPS], ça va s’intégrer comment dans l’organisation des soins ? »
En donnant aux IPS trop d’autonomie, elles risquent de travailler de leur côté sans les médecins
Les infirmières praticiennes spécialisées (IPS) ont une maîtrise en sciences infirmières et en sciences médicales leur permettant de faire certaines interventions (suivi de grossesse, traitement de maladies chroniques, soins palliatifs). La plupart sont spécialisées en soins de première ligne, mais certaines ont une spécialité en soins aux adultes, en soins pédiatriques, en santé mentale ou en néonatalogie. On recense actuellement environ 500 d’entre elles dans le réseau et 2000 de plus sont actuellement en formation.
En entrevue au Devoir lundi, la ministre de la Santé, Danielle McCann, affirmait que les médecins étaient prêts à donner plus de place aux infirmières pour désengorger le système de santé.
« L’objectif, c’est que les infirmières praticiennes spécialisées puissent utiliser toutes leurs compétences. Il y en a presque 500 en première ligne. Imaginez le potentiel ! Actuellement, elles doivent se fier au médecin, elles ne peuvent pas poser de diagnostic », avançait-elle. « Imaginez-vous si on dégage ça ! On a l’offre de service qui va être augmentée. »
Une proposition bien reçue par les oppositions
Cette sortie a beaucoup fait réagir. Tant le Parti québécois que Québec solidaire se sont dits généralement favorables à l’idée de confier un rôle accru aux IPS. « J’étais quand même heureux de lire cette nouvelle-là parce que nous, ça fait longtemps qu’on plaide pour ça », a déclaré Sylvain Gaudreault, porte-parole en santé du Parti québécois. « Ça a été l’élément central, sinon au coeur de nos engagements électoraux. »
Chez Québec solidaire (QS) aussi, on a réservé un accueil positif à ce plan de match. « Nous, on accueille ça évidemment très favorablement », a déclaré le porte-parole de QS en santé, Sol Zanetti.
Du côté du Parti libéral aussi, on est ouvert aux propositions visant à donner plus de place aux infirmières et aux pharmaciens. « Il semble que c’est positif pour les patients », avance le porte-parole libéral en santé, André Fortin.
Quant aux infirmières praticiennes spécialisées, elles étaient pour le moins ravies de la sortie de la ministre à leur sujet. Leur porte-parole, Christine Laliberté, est même allée jusqu’à dire qu’elle était « sur un nuage » à la lecture de l’entrevue lundi matin.
Selon elle, les IPS devraient pouvoir réaliser des diagnostics simples et ne solliciter leur médecin partenaire que pour des cas plus complexes.
« Le problème dans la législation actuelle, c’est que je suis obligée de référer les cas que je peux régler toute seule », dit-elle.
Questionnée sur les réticences de la FMOQ, elle avance que le syndicat des médecins s’inquiète pour rien. « Il n’y a aucune infirmière praticienne au Québec qui veut s’isoler. On veut vraiment travailler ensemble, puis notre force, c’est de travailler en équipe. »