L’épuisement des médecins menace les soins de santé
Plus d’un médecin sur quatre souffre d’un épuisement professionnel important, un phénomène qui inquiète et qui a des répercussions sur tout le système de santé.
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Selon un récent sondage de l’Association médicale canadienne, 26 % des docteurs disent ressentir un épuisement professionnel aussi appelé burnout. Ce pourcentage grimpe à 32 % chez les femmes.
« Plusieurs ont un sentiment d’épuisement parce qu’ils n’arrivent pas à tout faire, ils ont le sentiment d’être débordés », indique la directrice générale du Programme d’aide aux médecins du Québec, la Dre Anne Magnan.
Selon elle, ce problème est très préoccupant et on ne s’y intéresse pas assez.
À cela s’ajoutent d’autres problématiques liées à la santé mentale comme la dépression ou encore des gestes suicidaires comme en faisait état notre Bureau d’enquête dans un reportage publié hier.
La Dre Magnan reconnaît que l’épuisement ne touche pas que les médecins, mais aussi les infirmières et d’autres intervenants du réseau de la santé. Elle estime toutefois que les troubles d’épuisement d’un seul médecin peuvent avoir des impacts sur toute une équipe de soins.
Attitude
« Il y a un problème d’attitude qui est fréquent avec l’épuisement, sans compter l’impact d’un médecin qui va s’absenter ou même aller jusqu’à quitter la profession », affirme-t-elle.
Aux États-Unis, la problématique de l’épuisement professionnel est encore plus importante, si bien que certains parlent carrément de crise de santé publique.
L’Association canadienne de protection médicale indique pour sa part qu’un médecin en épuisement est plus à risque de commettre des erreurs. Son président, le Dr Hartley Sern, identifie plusieurs causes.
« La surcharge de travail, les exigences administratives, la perte d’autonomie, les critiques soutenues du public et le manque de soutien des établissements peuvent tous contribuer à la détérioration de la santé », écrit-il dans un récent rapport sur le sujet.
Des pertes de 213 M$
Selon une étude menée en 2014 par l’Université de Toronto, l’épuisement professionnel occasionne des pertes de 213 millions $ au système de santé canadien en raison des retraites anticipées et de la réduction des heures de travail.
Le Dr Claude Prévost, de la Direction de la santé publique de Laval, estime que les médecins n’ont pas tous la même résistance aux lourdes charges de travail que doit assumer un docteur.
« Certains médecins sont parfaitement heureux de faire 70 ou 80 heures par semaine alors que pour d’autres, c’est mieux de travailler quatre jours par semaine », dit-il.
L’épuisement professionnel des médecins a pris des proportions tellement importantes aux États-Unis que certains n’hésitent pas à parler de crise de santé publique.
Des études estiment qu’environ 50 % des professionnels y ressentent des symptômes liés au burnout.
« C’est en train de devenir une véritable crise », lance le Dr Alain Chaoui de la Massachusetts Medical Society.
Avec des collègues de l’Université Harvard, il a publié un texte qui a fait grand bruit il y a quelques semaines. Selon eux, l’épuisement risque d’avoir des conséquences importantes, y compris pour l’accès aux soins pour les patients.
« Travail en pyjama »
Parmi les causes identifiées pour expliquer le phénomène, on trouve notamment l’imposante paperasse administrative à remplir. L’étude parle entre autres du « temps de travail en pyjama ».
« Vous retournez à la maison, faites souper vos enfants et ensuite vous retournez à votre ordinateur pour consulter des analyses de laboratoire », illustre le Dr Chaoui.
Selon lui, l’informatisation des dossiers médicaux a fortement alourdi le travail administratif des médecins, qui sont aussi frustrés d’avoir moins de temps à passer avec leurs patients.
Les auteurs de l’article estiment que les idées proposées par certains, comme le yoga et la méditation de pleine conscience, sont loin d’être des solutions miracles.
Selon eux, de telles méthodes laissent entendre que c’est au médecin de régler le problème, et que la société n’a pas à s’attaquer aux causes de l’épuisement professionnel.
Le Dr Chaoui et ses collègues ont proposé six solutions, dont une simplification des dossiers électroniques, une meilleure formation dans les écoles de médecine concernant l’épuisement, moins de paperasse administrative et la nomination d’un responsable du bien-être du personnel dans chaque établissement.