Ne blâmons pas les immigrants pour la précarité du français
Tout ce qui est excessif est insignifiant, disait Talleyrand. En affirmant qu’il craignait que « nos petits-enfants ne parlent plus français » en raison de l’afflux d’immigrants, François Legault a versé dans l’exagération, donc dans l’insignifiance. On doit mettre sur le compte du rythme effréné de la campagne électorale cette déclaration malhabile, qu’il a d’ailleurs corrigée en reportant la menace sur plusieurs générations. Mais le chef caquiste a tort de mettre la précarité du français à Montréal sur le dos des nouveaux arrivants.
Certes, François Legault a raison de dire que la francisation des immigrants est un échec. Ce constat, la vérificatrice générale, Guylaine Leclerc, l’a fait dans un rapport, à l’automne 2017, qui établissait que les deux tiers des immigrants qui ne parlaient pas français à leur arrivée suivaient les cours de français dispensés par le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (MIDI). Et de ce nombre, seulement une minorité réussissait à atteindre le niveau requis de connaissance du français.
En revanche, la mesure phare de la loi 101, l’obligation pour les immigrants d’envoyer leurs enfants à l’école française, a donné des résultats probants. Si on n’arrive pas à franciser de nombreux nouveaux arrivants, on se rattrape avec leur progéniture.
Le chef caquiste propose d’abaisser de quelque 52 000 à 40 000 le nombre d’immigrants admis annuellement, tout en consacrant les mêmes sommes pour leur intégration. Pourquoi 40 000 plutôt que 45 000, par exemple, il ne le dit pas. Il semble aussi oublier que ce sont essentiellement des fonds fédéraux qui financent l’immigration au Québec en fonction du nombre d’immigrants admis. Moins de nouveaux arrivants, moins d’argent versé par Ottawa.
Réalisant qu’abaisser de 12 000 le nombre de nouveaux arrivants, ce serait retrancher le tiers des immigrants dits économiques que sélectionnent le Québec, François Legault affirme qu’il négocierait le rapatriement de la catégorie Réunification familiale, qui relève exclusivement d’Ottawa. La signature d’une entente à ce sujet est parfaitement illusoire.
Philippe Couillard n’a pas manqué de vilipender son adversaire : en réduisant le nombre d’immigrants choisis par le Québec, un gouvernement caquiste accentuerait les pénuries de main-d’oeuvre, avance-t-il.
Or, inefficace en la matière, le gouvernement libéral a peu fait pour réduire ces pénuries qui, de façon criante, touchent les régions. On doit conclure à l’échec de la régionalisation de l’immigration : plus des trois quarts des immigrants s’établissent dans la région de Montréal.
Pour les PME en région, il existe un problème dans la sélection des immigrants. Elles ont certes besoin de main-d’oeuvre spécialisée — on pense aux fameux soudeurs que tout le monde semble s’arracher —, mais elles manquent surtout cruellement de travailleurs non qualifiés, des manoeuvres, des manutentionnaires. Se font rares également les cuisiniers, les serveurs, le personnel de magasins, des emplois qu’occupaient les jeunes dans le passé. Or la grille de sélection du MIDI favorise le docteur en chimie qui parle français, ou le membre d’une profession contingentée, dont on a moins besoin puisque ce sont des emplois que veulent occuper les jeunes Québécois.
Il n’y a pas de solution miracle. Il faut mettre en place des cours de francisation mieux adaptés, notamment en milieu de travail, avec des incitatifs financiers intéressants, et s’assurer que la langue de travail soit le français dans les entreprises de 25 à 49 employés. En outre, si l’État québécois se respectait, il cesserait de s’adresser aux immigrants en anglais.
Il existe plusieurs facteurs qui contribuent à l’attractivité de l’anglais au Québec. Les échanges commerciaux internationaux, qui stimulent la mondialisation et qui encouragent la bilinguisation des milieux de travail, en sont un, tout comme le fait que l’anglais est devenu l’espéranto de cette mondialisation. Les deux légitimités nationales — canadienne et québécoise — qui se font concurrence dans la région de Montréal en sont un autre. On ne peut d’ailleurs pas nier la vitalité de la communauté anglophone — de plus en plus bilingue, faut-il le souligner —, qui peut compter sur des allophones trilingues pour gonfler ses rangs à Montréal, contrairement à sa situation dans le reste du Québec.
On ne peut rejeter la responsabilité de la situation sur l’immigrant qui n’a d’autre choix que de s’adapter au contexte qui prévaut dans son pays d’adoption. S’il a le loisir de choisir de vivre en français ou en anglais, c’est à la société québécoise et à son État timoré qu’il faut s’en prendre.